L’Institut des Sciences Analytiques (ISA CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), a conduit plusieurs projets sur les abeilles et les produits de la ruche (miel, gelée royale, pain d’abeille, cire, pollens…) en relation avec les professionnels de la filière apicole et/ou en collaboration avec des écotoxicologues. Fréquemment soutenus par le fonds européen de développement régional, via FranceAgriMer, ces projets suivaient deux thématiques de recherche : définir les marqueurs de naturalité des produits de la ruche et des pratiques de production et conservation et détecter les traces et ultra-traces de contaminants des abeilles et des produits de la ruche. Les groupes de recherche PNBS et Traces de l’ISA ont ainsi pu développer des méthodes analytiques innovantes permettant de distinguer le mode de production naturel ou artificiel de la gelée royale, de déterminer la bonne conservation de ce produit de la ruche, de détecter des contaminants, encore non étudiés, à de très faibles teneurs chez l’abeille ou dans son environnement….
Définir les marqueurs de naturalité des produits de la ruche et des pratiques de leur production et conservation
Le groupe PNBS est spécialisé en méthode d’analyse en naturalité, authenticité des produits naturels et détection des adultérations. Après avoir étudié les miels et notamment établi une méthode basée sur l’analyse des acides organiques afin de différencier les miels en fonction de leur origine botanique, le groupe PNBS s’est intéressé à un autre produit de la ruche : la gelée royale. Initialement produite pour nourrir les reines, la gelée royale est un complément alimentaire particulièrement recherché.
Le groupe PNBS s’est focalisé sur la recherche de marqueurs permettant de distinguer les gelées royales produites de façon naturelle de celles réalisées par le biais d’une alimentation artificielle : sucres artificiels et/ou protéines. Les scientifiques ont tout d’abord constitué une large base de données fiable par l’analyse de 500 gelées royales françaises afin de déterminer les paramètres physico-chimiques de naturalité en tenant compte de la diversité des origines géographiques, des saisons de récolte et des sources d’alimentation naturelle. Ils ont ensuite comparé avec les données issues de l’analyse de 250 échantillons de gelées royales commercialisées (français et importés) ou issues d’expériences d’alimentation artificielles. Par l’analyse combinée des sucres et des rapports isotopiques stables, les scientifiques ont déterminé plusieurs composés : saccharose, erlose, maltose, maltotriose et δ13C dont la variation de teneur et valeur (δ13C) est significative d’une alimentation artificielle. Ces composés, sont par conséquent des révélateurs efficaces des modes, naturel ou artificiel, de production de la gelée royale.
La qualité de la gelée royale dépend également de ses conditions de stockage, notamment la température et durée. Le groupe PNBS a donc développé et validé une méthode sensible et rapide par LC-MS pour quantifier la teneur de furosine dans les gelées royales. Cette première étude sur la teneur de furosine dans des gelées royales produites en France, a permis de démontrer que ce composé pouvait être utilisé comme un marqueur de la fraicheur des gelées royales afin de détecter des traitements thermiques ou un stockage prolongé.
Détecter les traces et ultra-traces de contaminants des abeilles et des produits de la ruche
Le groupe Traces, expert en détection de traces et ultra-traces de contaminants dans des matrices diverses : eaux, milieux aquatiques, sols, invertébrés … s’est également investi dans des projets concernant les abeilles, et leur environnement. L’abeille est une espèce pollinisatrice subissant un fort déclin, ce qui menace l’agriculture mondiale ainsi que la biodiversité. La présence de contaminants environnementaux à l’état de traces pourrait jouer un rôle dans cette sur-mortalité.
En 2011, une méthode multi-résidus, rapide, sensible et peu couteuse, a ainsi été développée pour quantifier 80 contaminants potentiels (pesticides, médicaments vétérinaires) dans les miels, les abeilles et les pollens afin d’obtenir une vision globale de la présence de contaminants environnementaux dans les ruches. Cette méthode basée sur une extraction unique (QuEChERS modifiée) suivie d’une analyse GC-ToF combinée à la LC-MS/MS a permis d’abaisser les seuils de quantification jusqu’à 10 ng/g. Appliquée à plus de 100 échantillons, elle a révélé de forts pourcentages de miels, d’abeilles et de pollens contaminés par des pesticides utilisés pour lutter contre le varroa ainsi que des fongicides (carbendazime) et des contaminants omniprésents. Les résultats ont mené à une modification des pratiques apicoles.
D’autres matrices apicoles, susceptibles de contaminer les abeilles, ont également été étudiés. Une méthode unique (QuEChERS-UPLC – MS / MS) pour l’analyse des pyréthrinoïdes et des néonicotinoïdes dans les pains d’abeille, dont elles se nourissent, a été développée révélant la présence de 13 pesticides et leurs métabolites à des niveaux généralement inférieurs au ng/g (l’acétamipride, le thiaclopride à 170 ng/g dans certains cas). Le groupe a ensuite étudié la cire des ruches et développé une méthode afin de quantifier les 13 néonicotinoïdes et pyréthrinoïdes, déjà étudiés dans le pain d’abeille, ainsi que le boscalide pour permettre l’évaluation de la contamination. Les limites de quantification atteintes de 1 ng/g (thiaméthoxame, clothianidine, imidaclopride, acétamipride, thiaclopride et boscalide) à 40 ng/g (lambda-cyhalothrine) ont permis l’application de la méthode à 60 échantillons de cire d’abeille collectés dans plusieurs régions de France. Cette étude a révélé la présence de thiaclopride, de boscalide, d’imidaclopride et de deltaméthrine. Le plus fréquemment quantifié étant le boscalide, les chercheuses se sont focalisées sur ce fongicide de nouvelle génération. Parue en 2016, cette recherche a permis l’identification (grâce à la spectrométrie de masse à haute résolution) et la quantification, pour la première fois, non seulement du boscalide mais aussi de trois de ses métabolites à un niveau compris entre 0,2 et 36,3 ng/g, dans des colonies présentant des troubles. L’étude a ainsi mis en exergue l’intérêt d’étudier les métabolites, en tant que marqueur d’exposition à un pesticide, et/ou en tant que contaminants des abeilles.
Plus récemment le groupe a développé une méthode analytique originale basée sur l’extraction liquide-liquide assistée par des sels et ultrasons suivie d’une chromatographie liquide-spectrométrie de masse en tandem pour doser le thiaméthoxame et la clothianidine dans la gelée royale, à des teneurs aussi faibles que 0,2 ng/g. Ces niveaux jamais atteints auparavant ont permis au partenaire écotoxicologue de mener des investigations sur l’impact d’ultra-traces de néonicotinoïdes sur la croissance des reines.
Aujourd’hui, le groupe Traces, toujours focalisé sur la détection de micropolluants et polluants émergents des milieux aquatiques et terrestres, s’est orienté vers l’étude d’autres espèces sentinelles de l’environnement. Le groupe PNBS est également recentré vers le développement de méthodes d’analyse de la naturalité et l’authenticité de composés naturels utilisés dans la production alimentaire et cosmétique tels que les huiles essentielles.
Sélection de références
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